Une approche critique de l’idéologie du «pluralisme juridique»

Cet article vise à faire une critique non complaisante à l’égard du «pluralisme juridique».Il s’agit d’exposer, ne serait-ce que succinctement, nos désaccords et nos réticences à l’égard de cette idéologie, et de le faire avec franchise. Notre but est d’établir un diagnostic critique du «pluralisme juridique» et de déconstruire, autant que possible, les dédales idéologiques qui le constituent. Il s’agit de tracer une ligne de démarcation épistémologique en s’opposant à un surinvestissement dogmatique que nous pensons contreproductif, inutile et irrationnel, et surtout de critiquer avec fermeté un courant idéologique qui ne peut que nuire, à notre opinion, à l’équilibre intellectuel juridique.

Mettons cartes sur table ! Nous n’avons jamais été partisan, ni d’une façon ou d’une autre, du «pluralisme juridique». Chaque fois que l’invitation à joindre le club a été lancée, nous avons manifesté notre refus et notre distance face à ce concept. Nous avons inlassablement considéré le «pluralisme juridique» comme étant sans intérêt et rien d’autre qu’une doctrine pauvre et poétique, voire de la littérature ennuyante et insipide. On nous reprochera peut-être notre sévérité, mais si la sincérité et l’honnêteté intellectuelles ont encore leur place dans ce bas monde, il faut dire clairement les choses telles que nous les pensons. Nonobstant la protection oligarchique forte et soutenue dont a bénéficié le «pluralisme juridique» au Québec, le temps est arrivé de le critiquer sans tarder.

Reconnaissons que l’idéologie de pluralisme juridique n’est en rien une exclusivité québécoise, loin de là[1] puisqu’il s’agit d’une importation théorique qui a fortement plu à l’oligarchie jus facultaire et qui, de ce fait, a pu s’installer tranquillement et en force pour s’accointer vers sa forme actuelle[2]. Qu’il existe incontestablement une pluralité de formulations idéologiques du «pluralisme juridique» dans le monde, et cela depuis, grosso modo, trois à quatre générations (en fait depuis sa genèse dans le fascisme italien et associé à Santi Romano[3]) ne sera pas de notre affaire. En centrant notre regard critique sur le Québec, nous effectuons consciemment un choix[4], avec la conviction que notre critique recouvrira amplement l’idéologie de «pluralisme juridique» en général. Si un arbre se juge par ses fruits, l’idéologie du «pluralisme juridique» se juge aussi par ses résultats, ne soient-ils que textuellement circonscrits au Québec[5].

Ainsi avisé de l’objectif de notre article, nous procédons par la suite à cinq analyses critiques: d’abord une critique du panjuridisme constitutif du «pluralisme juridique»; ensuite une critique de la stratégie de phacotage idéologique (pour se faire juridique); après une critique du postulat de «nous-vivons-dans-le-droit»; ensuite une critique contre le fondationalisme totalisant (et idéaliste), et enfin, une critique du postulat d’un «constructivisme pluraliste juridique» (et ses dérives). Il va sans dire que chacune de ces cinq analyses critiques s’enchevêtre et s’imbrique l’une dans l’autre, et s’explique ou se justifie mutuellement.

  1. Une critique contre le panjuridisme «pluraliste»

 

D’emblée, nous estimons que le «pluralisme juridique» n’est guère plus qu’une forme abâtardie du «panjuridisme» en général. Pour clarifier notre assertion, commençons par examiner d’abord ce panjuridisme «pluraliste» et l’indifférenciation idéaliste et irrationnelle que cela produit; analysons après le lyrisme panjuridique pluraliste.

Examinons d’abord comment le panjuridisme pluraliste s’insère dans le panjuridisme en général. À suivre ses partisans «pluralistes», il existe (hyperboliquement[6]) une pluralité d’«ordres juridiques» et chacun d’eux a une relation privilégiée avec «le Droit». Le monde (théorique) en est de la sorte rempli, ils sont partout et ils s’entrechoquent et se bousculent entre eux sous le mode «pluraliste». Certains auteurs nous offrent, avec verve, l’image suivante:

 

Dans notre conception, le pluralisme juridique est tributaire du pluralisme social des valeurs et commence quand un système juridique unifié attribue à un groupe un régime particulier fondé sur les valeurs de ce groupe, ou quand un tel groupe, dès lors semi-autonome, se définit un tel régime particulier dans un nouvel ordre juridique distinct du premier. […] les différents milieux sociaux créeraient leurs propres normes pour modeler le comportement social et leurs propres institutions pour renforcer et appliquer ces normes. Dans une telle conception, il y a peu de distinctions entre les normes juridiques et les autres normes sociales. On aura compris que c’est la définition du droit qui est ici en cause: le droit est alors implicite et inférentiel [sic !] et inclut «les principes généraux du droit et les présupposés tacites qui gouvernent l’agir des communautés», et ces normes — dont l’intensité juridique variable n’a pas d’importance — émanant de divers ordres juridiques se conjuguent, sans hiérarchie prédéterminée, dans l’expérience subjective de l’individu[7].

 

Or, ce qui se constate, c’est que les auteurs pluralistes s’approprient littéralement le concept d’«ordre juridique» (récupéré tel quel dans le positivisme juridique ordinaire) et affirment, illogiquement, qu’il doit se trouver égal à lui-même dans une réalité portant le nom de «droit», de «juridique»[8]. En d’autres mots, ils soutiennent qu’il existe «en réalité» une pluralité d’«ordres» que l’humanité a pu créer et que plusieurs parmi eux portent le nom (littéraire) d’«ordre juridique».

Comme l’humanité et l’individu savent créer l’ordre pour lui-même et pour les autres[9], cela prouve, selon l’idéologie pluraliste que l’ordre créé doit compter en tant que «droit» et surtout «ordre juridique». Le résultat pour un pluraliste, est que «le droit» est partout, dans tout «ordre» que l’humanité a pu créer sur terre depuis la nuit des temps. Cela signifie notamment que le droit n’a donc rien de particulier et qu’il existe parce que tu l’as créé et que tu le considères comme étant digne de l’expression «ordre juridique». Un panjuriste pluraliste est en conséquence toujours capable de trouver le droit partout et surtout dans la pluralité des «ordres» qui existent sur terre. Et il y en a énormément ! Ils sont partout !

Or, est-ce que cela est logique ou rationnel ? Car si, effectivement, le positivisme juridique utilise fréquemment le concept d’«ordre juridique» pour écrire la doctrine, ce mot peut-il se retrouver dans la réalité et être multiplié (littéralement) à l’infini par l’invocation du mot fétiche de «pluralité» ou de «pluralisme» ? L’expression «ordre juridique» peut-elle avoir un statut de «réel» et être équipée d’une ontologie qui le garantit avec certitude (supposément) en tant que «juridique» ou de «droit», et de surplus en tant que «pluralisme» ?

Or, cela a surtout pour effet de soutenir le relativisme et l’indifférenciation culturels, car si le droit est partout, il n’a plus aucune histoire distinctive possible et plus aucune assise historique particulière pour sa réalisation et sa création. Le droit et son histoire se révèlent atopiques pour se retrouver utopiques ! Et si les panjuristes pluralistes ont «vu juste», le «droit» se dissout dans une factualité qui porte son nom en tant qu’«ordre juridique», «fait social», «construction sociale» et «phénomène normatif», dans une indifférenciation historique (et de sens) permettant diligemment d’affirmer que le droit n’est certainement pas «occidental» et encore moins rattaché à un «ratio recta» rationaliste, procédural et logique. Le panjuriste pluraliste est prêt à triomphalement déclarer que le «droit» a toujours été partout sur terre et à toutes les époques, sans discrimination! L’histoire de l’humanité et ses intrigues sont résolues par la même occasion: c’est partout (ou presque) du pareil au même ! Ce qui permet instantanément de faire alliance avec le si puissant «communautarisme à la façon québécoise»[10]). Il ne faut qu’accepter de croire (contre raison) que la réalité parle la langue du «droit» !

Or, une des caractéristiques du panjuridisme pluraliste (québécois ou non) est qu’il permet et s’accompagne habituellement d’une pluralité de «définitions» annexées au droit. C’est effectivement une caverne d’Ali Baba qui s’ouvre avec toutes ses merveilles et dont plusieurs n’ont pas été vues depuis des siècles. Cela se vérifie amplement par un glanage, nécessairement sélectif, dans la nouvelle «orthodoxie de la science du droit»[11] (sic !) où nous retrouvons des perles pluralistes insoupçonnées.

Contemplons l’affirmation suivante de Roderick Alexander Macdonald:

 

Le droit vit dans l’âme de tous les membres d’une société. Au lieu de demander comment le droit voit ses sujets, il faut plutôt demander comment les sujets voient le droit. Ceci dit, il faut préciser que les sujets ne sont pas uniquement les multiples êtres construits par le sexe, l’âge, la race, la classe sociale, la langue et la religion. Il n’y a pas de traits qui soient présomptivement [sic !] plus réels et plus importants que des autres. Toutes nos catégories sociales sont le résultat des compréhensions partielles des sujets[12].

 

Une telle affirmation a-t-elle un sens ? Le droit vit-il ? Et s’il vit, réside-t-il dans nos âmes ? Comment faisons-nous alors pour communiquer avec l’âme de chaque personne ? Et comment l’âme fait-elle pour nous communiquer que son «droit» est celui-ci ou celui-là ?

Or, il ne s’agit nullement d’une incurie ou d’une négligence de langue, mais bien d’un des ressorts venant du fond panjuridique de l’idéologie pluraliste, ce qui permet au même auteur une surenchère (sous un mode distique): «L’approche pluraliste rejette l’idée qu’il y a un mur entre l’ “identité nationale” abstraite et les identités personnelles concrètes que l’État ne conçoit pas comme étant des identités juridiques. En le faisant, la théorie pluraliste véhicule une subjectivité juridique au contenu formel multiforme[13]».

S’agit-il ici du «droit qui vit dans l’âme», qui descend du ciel de l’identité pour se retrouver dans l’ «identité juridique» ? Ou encore, ne s’agit-il que d’une exploitation du mot «droit» dans un dessein idéologique ? Ou plus vraisemblablement, ne s’agit-il que de l’amphigouri ?

Ainsi selon Richard Janda:

 

Le pluralisme juridique critique (a) problématise toute frontière entre le droit et le non-droit ou les normes étatiques et les normes non étatiques; (b) il suppose qu’il y aura une hiérarchie entre les valeurs sociales dominantes et les moins puissants, mais laisse l’individu agir comme arbitre; et (c) il suppose qu’il y aura un large éventail de conséquences prévisibles et non prévisibles des décisions juridiques sans pour autant tenter de les retrouver ou d’expliquer comment ils sont liés à la force obligatoire de la loi. L’«unité d’analyse» c’est la conscience individuelle et la capacité individuelle d’agir[14].

 

Or, à supposer (sans que nous sachions comment cela peut se faire) que «le droit» (sic !) s’analyse dans la conscience individuelle et se comprend par la capacité de chaque individu d’agir dans la société, cela donne-t-il un concept du «droit» ? Ou ne constatons-nous pas plus vraisemblablement que «l’âme» de R. A. Macdonald a été troquée chez Janda au profit du mot «conscience» ? Même si c’est le cas, qui peut rationnellement croire que le droit vit dans la «conscience» ?

Quant à lui, Jean-Guy Belley écrit:

 

Il me semble qu’une définition à la fois générique et opératoire du droit devrait englober toutes les pratiques de régulation sociale qui se révèlent d’une part de type politique en ce sens qu’elles traduisent l’intervention des détenteurs de pouvoir ou de l’autorité dans la dynamique de l’action sociale, d’autre part de type rationnel en ce qu’elles prétendent s’exercer en obéissant aux exigences de modèles d’intervention institutionnalisés ou préétablis[15].

 

Cela est-il «vrai» ? Une telle définition du «droit» n’est-elle pas simplement une réécriture littéraire de l’«ordre», de l’«ordre» que les humains se créent ? Or, une «régulation sociale» peut-elle vraiment être autre chose qu’une régulation sociale, et ainsi ne jamais rejoindre le mot «droit» qu’en littérature ?

Le même constat chez Pierre Noreau:

 

[…] contrairement à ce que suggère la tradition héritée du positivisme juridique, le droit n’exerce pas de véritable monopole sur la définition des normes qui régissent chaque société à un moment précis de son développement. Il doit composer avec les normes venant d’autres sources normatives. C’est ce qu’on appelle le pluralisme juridique. Ainsi, les règles élémentaires de la civilité déterminent plus souvent notre façon de conduire une voiture que le strict respect des dispositions du Code de la sécurité routière. Dans la foulée des rapports sociaux, la cohabitation de ces ancrages normatifs différents ne se fait pas sans mal et trouve une issue dans l’élaboration de bricolages normatifs singuliers. On parle alors d’internormativité[16].

 

Bref, le concept de «droit» est, selon Noreau, une normativité sociologique (découverte dans le positivisme juridique ordinaire et surtout kelsénien) qui fait chaire avec les comportements des individus. Ce qui balise assurément la voie pour la croyance que «nous-vivons-dans-le-droit» (nous y reviendrons), mais le mot normativité sociologique peut-il donner plus que le mot ? Et la recherche d’un soi hypothétique (et de l’autohypnose)[17]?

En fait, quel jugement émettre sur tout cela ? Le nôtre sera plutôt: no pasarán ! C’est une naïveté tant ontologique que psychologique qui ne débouche que sur des illusions et sur une «idéologie de représentation» (c.-à-d. le pluralisme). La croyance et l’imposition de l’image des «ordres juridiques» ne servent à rien, sinon de s’attester en tant qu’imposition d’une construction théorique sans fondement et entièrement futile à l’égard des enjeux juridiques dans une société qui se veut démocratique et moderne.

In contradictio avec les surinvestissements panjuridiques pluralistes, confirmons avec fermeté que le droit n’existe pas dans la «réalité», dans notre «âme», dans «l’histoire», dans la «société», dans la «culture», dans la «réalité», dans la «pluralité» et que c’est une fausseté intellectuelle de prétendre qu’il est partout et qu’il existe quelque chose qui soit «le droit»[18]. La voie du réalisme est bien escarpée et lourde à arpenter, c’est toutefois la seule recommandable et la seule qui sera utile à la fin.

 

 

  1. Contre le phagocytage pluraliste

 

Par notre analyse du panjuridisme pluraliste, nous avons constaté que le paradigme positiviste joue un rôle important et insoupçonné, quoique déguisé, dans l’idéologie pluraliste. Au-delà du rôle d’épouvantail et d’horreur que le «positivisme» sert pour cette idéologie (détournant de ce fait l’attention des lecteurs), les pluralistes utilisent tactiquement le positivisme juridique ordinaire pour faire du «juridique»; il s’agit ici de la stratégie du phagocytage.

En fait, le problème de base qu’affronte toute conception panjuridique, autant au Québec qu’ailleurs, c’est de convaincre ses lecteurs que c’est quand même du «vrai droit» (sic !) dont il s’agit. Et c’est à ce niveau que la stratégie de phagocytage entre en jeu pour induire (par des concepts, des notions, des mots, des «sources», etc., par récupération dans la dogmatique positiviste) l’impression (de toute évidence illogique) qu’il s’agit de la même chose et du même «vrai droit» (sic !) maintenant compris à l’intérieur du pluralisme. La stratégie qu’utilisent les pluralistes consiste à prétendre que le «positivisme juridique» écrit, décrit et observe «le droit» (ce qui est logiquement faux), pour ensuite (dans un esprit panjuridique) le renverser, le récolter, le reprendre dans la «pluralité» pour ainsi être sûr de travailler sur l’être même du «droit» (sic !). En d’autres mots, il s’agit littérairement d’inverser (comme une pièce de monnaie qui s’inverse côté pile côté face) le positivisme juridique pour être sûr de ne jamais se faire critiquer et de ne jamais se faire dire que tout cela n’a aucun sens ! Et ça marche, en apparence !

Roderick A. Macdonald nous explique cette stratégie de phagocytage en ces mots: «Un pluralisme juridique critique tourne les analyses traditionnelles du droit et de la société à l’envers. Plutôt que de commencer par la prémisse que la société (et les communautés) est des entités que le droit peut traiter, il examine comment les membres de la communauté traitent le droit»[19].

Tout revient à lire le «droit à l’envers» ! Il faut, comme l’affirme R. A. Macdonald, interpréter et comprendre «le droit» à l’envers et dans le miroitement de sens (sic !) et croire alors que nous avons fait quelque chose de génial[20].

Or, si nous lisons, comprenons et interprétons «le droit à l’envers», comment être sûr que le miroir pluraliste le rend à l’identique et ne le renverse pas en pluralisme miroitant ? Ou, en d’autres mots, si nous lisons «le droit à l’envers», la société toute entière ne se retrouve-t-elle pas aussi à l’envers ? À savoir, le sens (comme la tête) dessus dessous et dans une imagination sans brides (et sans aucun sens) !

En fait, Roderick A. Macdonald suggère que «le droit» à l’envers l’autorise à affirmer aussitôt que le «pluralisme juridique est l’image alternative du droit et de la normativité juridique»[21]; d’où la déclaration (tout aussi entièrement creuse) affirmant qu’«une analyse pluraliste nous fournit une métaphore à l’intérieur du vocabulaire juridique traditionnel (…)»[22]. Pourquoi ? Parce que dans l’univers du monde du «droit à l’envers», le pluralisme juridique règne seul en maître incontestable sur un nouveau pays pluraliste à l’envers[23]! En clair, quand vous habitez seul avec «le droit à l’envers» c’est également vous seul qui décidez comment l’habiter «à l’envers».

Quelqu’un peut-il vraiment croire et laisser croire qu’un «droit à l’envers» est «le droit» ? Certainement pas, car ce sont incontestablement une anti-méthodologie et une anti-épistémologie, néfastes et irrationnelles, qui opèrent avec une pseudo «fondation» – nous y reviendrons – qui gèrent (en idéologie) «tout ce qui peut être dit sur la réalité» avec des concepts, des expressions et des mots générés par la dogmatique juridique (ou le «positivisme») au bénéfice d’una priori supposé «réel» ou «social». Une pseudo-méthodologie donc, qui se résume à reprendre les «mots» (du positivisme juridique) pour les verser dans la «réalité», pour ainsi mieux les reprendre «à l’envers» avec des considérations théoriques inventées concernant la «réalité», la «société», le «pluralisme», etc., et tout au bénéfice unique d’une  littérature pluraliste.

Or, il en résulte qu’un «pluraliste» peut à tout moment (et à volonté) piger sans vergogne dans tout le vocabulaire positiviste du droit: s’il trouve le mot «gouvernance», il peut prétendre que la gouvernance se trouve aussi dans «l’ordre» (et fait donc partie du pluralisme juridique); s’il trouve le mot «coutume», il peut prétendre de même et faire croire que les coutumes font pareillement partie de la «réalité juridique» (ce qui est évidemment faux). Pourquoi ne pas le prétendre, le suggérer, le désirer, s’il ne s’agit que de le croire ? À la limite, tout mot retrouvé dans (ou par) le positivisme juridique est en fin de compte soumis à la volonté pluraliste: «contrat», «aménagement du territoire», «société civile», «normes», «normativité», «internormativité», «obligation», «mariage» et le ciel est sans limite ! Tout le vocabulaire positiviste (surtout celui à la mode) peut aisément être versé dans la réalité pour se retrouver «pluraliste».

Or, quelles valeurs attribuer à cette quasi-méthode ? Phagocyter le vocabulaire dogmatique (ou encore la doctrine du droit) pour ensuite tout verser dans la «réalité pluraliste et juridique» a-t-il vraiment un sens ? Il suffit de surfer sur la vague du «politiquement correct» avec le mot fétiche de «pluraliste».

Le problème avec une telle position nous a été illustré, il y a déjà quelques siècles, par Molière dans la pièce de théâtre «Le Bourgeois gentilhomme», où monsieur Jourdain soucieux de s’ouvrir au plaisir du «pluralisme» (et de la philosophie) exprime aussitôt le souhait d’apprendre à faire de la prose. Quelle ne fut pas sa surprise et sa joie quand le maître lui apprit qu’il n’avait pourtant guère fait autre chose toute sa vie, sans le savoir vraiment. Comme Molière nous l’enseigne :

 

Maître de philosophie : De la prose.

Monsieur Jourdain : Quoi ? quand je dis : «Nicole, apportez-moi mes pantoufles, et me donnez mon bonnet de nuit», c’est de la prose ?

Maître de philosophie : Oui, Monsieur.

Monsieur Jourdain : Par ma foi ! il y a plus de quarante ans que je dis de la prose sans que j’en susse rien, et je vous suis le plus obligé du monde de m’avoir appris cela. Je voudrais donc lui mettre dans un billet : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour; mais je voudrais que cela fût mis d’une manière galante, que cela fût tourné gentiment[24].

 

Le pluralisme juridique, de même que «le droit» (pluraliste) se réalisent ainsi facilement sans que vous le sachiez ! Vous n’avez qu’à prononcer les mots, «Nicole, apportez-moi mes pantoufles» pour créer autant d’ordre dans votre maison (et dans votre vie) que, supposément, de «droit». Et si le théoricien pluraliste affirme solennellement que «l’ordre juridique est», c’est l’ordre juridique qui «est» et qui peut maintenant (sous le mode littéraire) plaire aux théoriciens et à tous les idéologues pluralistes du «droit»[25]!

La conclusion logique, que les pluralistes n’ont pas encore découverte, serait de fermer toutes les facultés de droit dans le monde au plus vite, car elles ne servent désormais à rien. En fait, si auparavant c’était à la Faculté de droit d’écrire la doctrine (et «l’ordre [dogmatique] juridique» sous un mode pédagogique au profit des étudiants en droit), il se révèle (à en croire les pluralistes) que la doctrine des ordres juridiques s’écrit toute seule dans la réalité et par chaque individu depuis le début de l’humanité. Tant pis pour la raison !

 

 

  1. Contre le postulat de «vivre-dans-le-droit»

 

Examinons ensuite un des postulats clés du pluralisme juridique, à savoir l’idée que nous «vivons dans le droit», que la société et la réalité sont «remplies de droit». Le pluralisme revivifie en effet imprudemment la croyance immémoriale d’un «nous-vivons-dans-le-droit», une croyance que nous considérons pareille à une perversion théorique[26]. Il convient en connaissance de cause de faire une étude critique, ce que nous ferons en examinant, d’abord, comment les pluralistes imaginent leur parangon d’un «nous-vivons-dans-le-droit», pour ensuite étudier cette croyance dans ses modalités «ontologiques» (ou plutôt «ontosophistes»[27]) contre-productives et inutiles.

En ce qui concerne spécifiquement la suggestion des pluralistes suivant laquelle nous vivons dans «le droit» par nos croyances, nos engagements et nos comportements (ce qui conforte le panjuridisme), nous nous adressons en premier lieu à Richard Janda. Il confirme que :

 

Les caractéristiques communes de tout «droit» doivent être discernées et séparées des particularités de la croyance et de l’engagement. Est-ce alors une surprise de constater que souvent, la réponse à la question «qu’est-ce que le droit ?» reste purement formelle et assainit le droit de la croyance et de l’engagement, permettant ainsi d’identifier les caractéristiques qui ne varient pas avec la croyance et de l’engagement ? […] En particulier, si l’on considère que la normativité est ancrée dans les croyances et les engagements – c’est-à-dire que la normativité est fondamentalement interne à chacun de nous et non fondée sur des normes externes auxquelles notre comportement se conforme- il n’y a aucune raison apparente d’adopter une définition restrictive du «droit»[28].

 

Il en résulte que pour comprendre le droit (ou l’ersatz pluraliste), il faut s’installer mentalement (et idéologiquement) à l’intérieur de ces «nous-vivons-dans-le-droit» et que si une personne a eu la chance de faire connaissance (dans le sens biblique) avec des croyances, des comportements, des engagements que les individus font, cela peut compter en tant que «droit». Visiblement Richard Janda estime que toutes ces formes de comportements, croyances, engagements, etc. se font et s’associent (sans discrimination !) avec le mot «droit» sont «le droit». Comment ? Parce que, selon Janda, répétons-le, il n’y a aucune raison apparente d’adopter une définition restrictive du «droit», ce qui constitue un exemple de raisonnement fallacieux (et irrationnel) servant à introduire une définition privée de l’idéo-droit ou du «nous vivons-dans-le-droit».

Le parangon de ce «nous-vivons-dans-le-droit» se révèle, sous la saveur pluraliste, entièrement (et surtout sous son nom littéraire de « droit »), par notre comportement et par notre existence, de même que par nos actes et actions dans ce même monde, et cela singulièrement dans le degré d’une correspondance conceptuelle (et littéraire) avec le positivisme juridique. L’idée est que si nous effectuons un acte que nous croyons psychologiquement, socialement, culturellement, etc. être «le droit», l’exécution de cet acte atteste (supposément) que «nous-vivons-dans-le-droit», à condition bien entendu qu’il existe un marqueur littéraire (à l’intérieur de la doctrine positiviste) qui puisse servir comme caution, comme correspondant à notre comportement et à l’extériorisation nominale de notre psyché.

Tout acte sociétal relevant de notre comportement peut en fin de compte être désigné comme étant «le droit» dès que nous pouvons le qualifier de façon factuelle (par la littérature sociologique, anthropologique, par les études culturelles, etc.) et le catégoriser (par le biais du positivisme juridique) doctrinalement. Tout acte comportemental, autant dans son infinie banalité que dans son immense importance, peut gracieusement recevoir (par le pluralisme juridique) le même soin et la même qualification, à savoir la qualité de «droit». Le droit est partout et nous vivons (supposément) dans le droit et par le droit !

Suivant une telle construction «le droit» est vivant, factuel, effectif, «normatif», etc. sociologiquement, anthropologiquement, culturellement, économiquement, parce que la théorie «pluraliste» est là pour affirmer que c’est effectivement le cas. C’est la théorie pluraliste qui crée et affirme «le droit» et qui nous révèle en primeur tous les mystères qu’il avait insidieusement ou imprudemment cachés à notre vue. À cet égard, Roderick A. Macdonald écrit:

 

Les pluralistes juridiques posent comme principe qu’il y a une multiplicité d’ordres juridiques dans chaque société. Des milieux sociaux différents, affirment-ils, donnent l’occasion aux citoyens de créer et de négocier à la fois leurs propres critères normatifs pour façonner et symboliser tout comportement social, et leurs institutions pour renforcer ou appliquer ces critères. Même les régimes juridiques les plus simples sont constitués par une pluralité d’institutions décisionnelles, qui distribuent des critères et des traditions culturelles. Des standards normatifs parrainés par l’État ne fonctionnent pas d’une manière instrumentalement naïve comme autant de variables exogènes agissant sur une société passive en changeant directement les comportements par la récompense ou sanction de certaines conduites. Il y a une constante interaction entre des régimes juridiques différents qui influencent mutuellement l’émergence des règles, processus et institutions de chacun. Les structures et trajectoires des interactions entre ces multiples ordres juridiques sont variées et imprévisibles. Inversement, pour comprendre le rôle que l’État a effectivement joué dans un champ social donné, il est nécessaire de comprendre la nature et le fonctionnement de plusieurs régimes officieux de droit dans le même domaine[29].

 

De ce fait, le parangon d’un «vivre-dans-le-droit» s’accomplit, à croire un pluraliste, par le miroitement de la réalité d’un «État de droit» (c.-à-d. le mot qu’utilise le positivisme juridique) à l’intérieur du pluralisme juridique. Si le positivisme juridique a raison et qu’il existe effectivement un «État de droit» (ce que, par contre, le dit positivisme juridique n’affirme normalement que sous le mode heuristique), un partisan «pluraliste» estime être autorisé à tirer la conclusion supplémentaire que nous sommes (sans le savoir) en train de «vivre-dans-le-droit». Nous n’avons pas à le vouloir, nous le vivons déjà (supposément) par notre existence sociologique, culturelle, économique, etc., et bien sûr par nos comportements, attitudes, croyances, etc. La société se confirme en fin de compte pour un pluraliste dans l’état d’un «en soi» transparent et un lieu où s’observe théoriquement des réalités sociologiques, anthropologiques, ethniques et raciales, économiques, culturelles, etc. Car, suppose-t-il, si c’est «vrai» pour le positivisme juridique, ça l’est tout autant plus pour le «nous-vivons-dans-le-droit» pluraliste.

Or, cela tient-il debout ? Est-il possible de «vivre-dans-le-droit» ? Peut-on rationnellement croire qu’une personne lucide et responsable à qui on proposerait de vivre dans «le droit» ne déclinera pas rapidement et vigoureusement la proposition ? La réponse s’impose clairement et négativement. Contre le pluralisme juridique, il ne se trouve guère meilleur argument que la théorie du badman d’Oliver Wendell Holmes Jr.[30] (et la théorie du sociological jurisprudence états-unien[31]) voulant que le droit soit réservé en exclusivité aux «méchants hommes» (et femmes)[32]. Wendell Homes nous rappelle que:

 

Si vous souhaitez connaître le droit et lui seul, vous devez vous mettre à la place du méchant qui a pour seul souci les conséquences matérielles qu’une telle connaissance lui permet de prédire, non pas à celle de l’homme bon qui trouve ses raisons d’agir, que ce soit par rapport au droit ou en dehors de lui, dans les sanctions moins précises que lui inflige sa conscience[33].

 

Ce qui apporte un démenti fort et définitif à toute idéologie de «vivre-dans-le-droit» (de même que de tout panjuridisme). Suivant Wendell Holmes[34], un individu responsable tient à l’honneur de ne jamais de se frotter à la loi, le judiciaire et le droit, et les évite comme la peste. Tout ce qu’il souhaite, pour lui-même et pour les siens, c’est de vivre tranquille et en paix.

Soutenons en conséquence que le postulat d’un «nous-vivons-dans-le-droit» ne représente guère autre chose qu’une proposition contre-productive et obscurantiste. Il s’agit d’une diversion idéologique et surtout une excuse pour ne jamais faire de vraies analyses sociologiques sur les questions qui se rapportent aux domaines juridiques dans une société moderne. Celui qui croit que «nous-vivons-dans-le-droit» a déjà au préalable sacrifié toute analyse empirique potentielle par le fait d’opérationnaliser avec un apriori trop fort, trop chargé, trop «lourd», et surtout qui inclut insidieusement les «conclusions» qui peuvent être (fallacieusement) établies. Certes cela ne nous crée que l’illusion chimérique d’être «radical», d’être «progressiste», d’être avec «le parti de l’avenir»[35], etc., car en supposant que le «droit c’est l’avenir» (ce qui serait un cauchemar !)[36], la posture facile sera d’imaginer que «les malins» (à la façon orphique[37]) ont réussi à s’insérer dans la matière et à jouer leurs jeux malins contre «le droit», et qu’en conséquence toute recherche pluraliste se résume à purger autant la réalité que le juridique. Ceci condamne alors le «nous-vivons-dans-le-droit» à n’être que réactionnaire et antijuridique; à n’être qu’un piège «intellectuel» néfaste face à ceux qui ont véritablement besoin de voir leurs différents résolus par un moyen judiciaire.

Argumentons fortement que personne n’a envie de vivre dans un « nous-vivons-dans-le-droit », où personne n’est libre et où la liberté et les expressions variables de liberté dans le domaine du culturel, de l’économie et du sociétal, etc. n’ont aucune place, sinon devenir une déviance à corriger par «En-haut». La description que Roderick A. Macdonald nous donne de la société est un cauchemar, un endroit où il ne fait pas bon vivre, voir l’enfer ! C’est un endroit où la liberté a été remplacée par un rêve intolérable et où la soumission à un «nous-vivons-dans-le-droit» ne génère qu’une oppression pure et simple.

Qu’il ne compte pas sur nous pour y participer, car nous n’avons guère envie de vivre dans «leur société», nous avons plutôt envie de vivre dans une société de liberté et de «désordres humains» (ou encore d’anarchie – en rappelant que c’est le présupposé nécessaire et indispensable pour tout horizon démocratique !).

 

 

  1. Critique contre le fondationalisme épistémologique

 

Notre quatrième critique consiste à tracer une ligne de démarcation à l’encontre du fondationalisme pauvre et anti-épistémologique qu’afflige le «pluralisme juridique». Dans sa posture panjuridique, dans «la nuit où tous les chats sont gris», le pluralisme nous introduit inopinément dans une impasse épistémologique où tout dépend d’une «fondation de pensée» (pluraliste) préétablie, apriori et circulaire de ce qui est «le droit». Incontestablement autoréférentiel, le pluralisme juridique se condamne à se reproduire à partir de lui-même, à se dédoubler et à se répliquer à l’infini, telle une litanie sans fin se référant perpétuellement à son discours de fondation, dans la «pensée», dans la «théorie», dans la «croyance» ou la «morale» (ou ne rien dire de l’ordre «pluraliste»). Le pluralisme juridique devient un discours autiste, bâti sur des «pétitions de principe», un discours idéologique qui ne fonctionne que sur ses propres présupposés idéologiques.

Ceci étant, il convient maintenant de regarder de plus près le fondationalisme pluraliste.

Quelques mots liminaires s’imposent au préalable quant à la signification du «fondationalisme»[38], et ensuite à quelle sorte de fondationalisme nous avons affaire ici dans le cas de l’idéologie pluraliste.

En ce qui concerne, premièrement, le fondationalisme tel quel, il s’identifie en tant que discours sur ou concernant «le droit» (ou le juridique) qui mobilise d’une façon ou d’une autre une référence quelconque, implicite ou explicite, à une «fondation», un «fondement», une «justification», une «archéologie», un «principe», une «règle de droit», supposé lui donner du sens, de le justifier comme étant ce qu’il est[39]. Cela peut se faire effectivement de maintes façons et c’est souvent instructif d’étudier la philosophie du droit, les théories du droit et les idéologies du droit (à qui appartient le pluralisme juridique), sous l’angle de leur mode fondationaliste, supposé soutenir – architectoniquement et artistiquement – la structure de ce qui s’affirme sous l’étiquette (plutôt littéraire) du «droit».

Dès qu’entre en scène l’image d’un droit qui «est là», dans toute sa magnificence (ou sa «pluralité pluraliste»), dans toute sa «science», sa «normativité» ou sa «factualité», et dans son «être là» pour nous servir en tant que fondement, fondation, assise, pour notre construction théorique, idéologique ou doctrinale, il s’agit toujours de fondationalisme. Il s’agit simplement pour un pluraliste de se persuader lui-même et de croire qu’ainsi «le droit» est là pour la théorie et la théorie pour le droit. D’où aussi l’imagerie fallacieuse d’un droit théorique qui a réussi à fusionner (sous mode littéraire) avec tout ce qui peut théoriquement être recherché (aussi bien positivement que «pluralistiquement») sur «le droit» et en tant qu’inéluctablement (et magiquement) pluraliste[40].

D’une façon critique, affirmons que la «neutralisation épistémique» qu’a subie la question du droit à l’intérieur du «pluralisme juridique» ne s’explique qu’à partir d’une théorisation particulière et privée (dans un sens Wittgensteinien[41]). Il n’existe simplement pas de «pratique» indépendante possible (autre que littéraire) concernant le pluralisme juridique en raison du  fait qu’un «droit» qui est partout n’est que logiquement «nulle part» (à l’exception d’un locus imaginaire «pluraliste») et qu’il est par conséquent impossible de le situer réellement. Donc, quand le pluralisme juridique s’imagine que «le droit» se trouve, s’observe et se «théorise» dans l’âme, la conscience, le comportement, la psyché, l’ordre, le comportement, la «pluralité», et ainsi de suite, il s’atteste que la seule chose valorisée c’est l’énonciation discursive de ces «faits littéraires» (supposés) là en tant que «droit». Il s’en suit surtout que le pluralisme juridique possède au préalable tout ce qu’il vaut la peine de connaître (sic !) du ou en «droit», et il s’affirme, en particulier, que le «pluralisme juridique» fonctionne comme un savoir (imaginaire), une compréhension, une idée, une fondation, une «connaissance» au préalable du droit (ce qui n’est pas, hélas, une connaissance du tout !). En fait, si tout se sait au préalable, à savoir que l’être du droit c’est d’être (idéologiquement) «pluraliste», et que ce qui peut être connu concernant le droit ne peut que le confirmer, il devient facile de certifier que le droit est effectivement et indubitablement du même bois «pluraliste». Il ne peut simplement pas être autre chose!

De ce fait, le pluralisme représente autant une indifférenciation[42] (autant illogique qu’irrationnelle) qu’une neutralisation épistémique. Et ceci parce que «le droit» est toujours compris et appréhendé intellectuellement par ce qui est investi dans les prémisses de recherche et confirmé par la suite comme le constituant des résultats de recherche.

La thèse de Sébastien Lebel-Grenier, intitulée «Pour un pluralisme juridique radical», témoigne amplement ce que nous venons d’affirmer. De ce fait, il nous permet d’examiner plus en détail l’impasse fondationaliste de l’idéologie pluraliste. Selon Sébastien Lebel-Grenier tout est archisimple:

 

Un pluralisme juridique radical implique trois fondements épistémologiques:

Premièrement, que toute normativité constitue du droit. Le droit ne peut donc être défini par des critères formels pas plus qu’il n’est pas conditionné par des déterminismes. Sa substance doit être recherchée dans l’ontologie régulatrice. Toutes les manifestations normatives doivent par conséquent être considérées comme pertinentes pour le juriste.

Deuxièmement, que l’identité est à la fois complexe, fragmentée, entremêlée et fluctuante ! Nous sommes tous habités par des appartenances, des allégeances et des sensibilités multiples et souvent contradictoires qui, par leur recoupement, définissent qui nous sommes. Ce sont les arbitrages auxquels l’identité nous confronte qui nous prédisposent à l’empathie nécessaire à l’interaction et à la coexistence.

Troisièmement, que la normativité est un vécu subjectif qui reflète la qualité de notre identité ! Le droit ne peut être considéré comme une externalité. Il ne se réalise que dans l’interpellation réciproque qu’il cautionne. La norme est un lieu contesté et fragmenté qui implique la préhension par un processus réflexif et la rétroaction par l’inscription dans l’interaction[43].

 

À suivre Sébastien Lebel-Grenier, tout se confirme (sous le mode de déduction) à partir d’un «fondement» établi théoriquement et a priori ! L’argument est qu’il faut impérativement des fondements pour construire théoriquement et si les cathédrales médiévales en ont besoin, les cathédrales pluralistes ont encore davantage besoin pour construire l’essence du monde et du «droit».

Or, ce que nous apercevons chez Sébastien Lebel-Grenier n’est pourtant rien d’autre que l’introduction de fondements plutôt littéraires (étiquetés faussement «épistémologiques») qu’il suppose capables à faire parler «le droit» en tant que droit, et de le faire en nous révélant concurremment «sa substance» (certainement « pluraliste » !) et l’étendue de sa présence (identiquement «pluraliste» !). Observons que ce qui «doit être recherché dans l’ontologie régulatrice», selon Sébastien Lebel-Grenier, sert uniquement à illustrer ce qui est imposé – a priori – dans la monture dufondationalisme pluraliste en tant que les «trois fondements épistémologiques». Le problème n’est pas uniquement ce qui est investi (ou semé) dans l’âme, la subjectivité, l’identité (étiquette à la façon du politiquement correct en tant que «complexe, fragmenté, entremêlé et fluctuant»), sinon la constatation que c’est le même résultat que vous récolterez ensuite sous mode «juridique» et aussi le même qui vous permettra de rêver, à votre guise, radicalement «radicale» (ou encore le «radicalement réactionnaire»)!

À croire Sébastien Lebel-Grenier le droit peut, grâce à sa posture fondationaliste, se retrouver équipé d’une substance ontologique où se trouve l’«ontologie régulatrice», une «régulation», «une norme», «une normativité», etc. Mais surtout avec la confirmation, répétons-le, «que la normativité est un vécu subjectif qui reflète la qualité de notre identité» et que le «droit ne peut être considéré comme une externalité», car il «se réalise que dans l’interpellation réciproque qu’il cautionne»[44]. Or, quel est le sens de telles affirmations ? Existe-t-il un «droit» qui se résume à une affirmation personnelle de croyance, une affirmation au-delà du «vrai et du faux», «au-delà du réel», au-delà de toute vérification ? Ou, avons-nous ici affaire à un Idéo-droit, un «droit» atopique, où la vérification a été remplacée par la versification; n’est-il que littéraire ?

Un des problèmes de base au niveau de la connaissance, de la science et de l’épistémologie, est le phénomène de «l’indifférenciation» ontologisante qui entre en jeu. Quand tout est indifférent dans l’être (comme dans le panjuridisme pluraliste), quand tout est à comprendre dans un tout (autant dans la somme pluraliste que dans ses parties pluralistes), quand tout est «en représentation pluraliste» en tant qu’identique à lui-même (et se justifie «pluraliste» par le jeu du miroir suivant le positivisme juridique), «le tout en question» (ou «le droit») n’est hélas que sa propre «indifférenciation» littéraire. Autrement dit, quand désormais «le droit» est son écriture et sa représentation, quand l’écrit doit être l’écrit de ce qui «est» (et ensuite par ce que le droit «est» !), quand le discours doit être la réalité de ce qui est écrit, il en résulte que l’écrit de «ce que la réalité est» est la réalité littéraire qui s’écrit «pluraliste» ! Le discours littéraire sur «la chose» (c.-à-d. le droit) résume, supposément, à l’intérieur de lui-même (et son «storytelling») la vérité de penser et de prononcer «la vérité à dire» (sans différenciation), comme il est et comme il doit être, dès le début et jusqu’à la fin des temps.

«L’indifférenciation rationnelle» se concrétise théoriquement sous le mode d’un «dire vrai» (réservé au panjuridisme pluraliste) et se trouve dans une position unique: si elle n’est pas vrai, il n’y a pas de vrai à dire; si elle n’est pas dite, il n’y a pas de vrai à dire !

Comprenons-nous bien ! L’indifférenciation entre «dire» et «vrai» sert, dans le pluralisme, de cuirasse théorique et surtout en tant qu’arme de pouvoir contre toute «critique». Face à l’ennemi qui critique le vrai du pluralisme, il ne s’agit que de se réfugier dans le dire, le dire en tant que «moi».

Pour comprendre cette manœuvre d’indifférenciation «ontologisante», personne mieux que Michel Foucault peut nous la présenter, autant au niveau discursif qu’épistémologique, en tant que tentation d’habiter les mots (à la façon que l’aura déjà fait Martin Heidegger) ainsi que sur le mode ontologique. Consultons quelques extraits clés de son livre phare, sa leçon inaugurale au Collège de France, prononcée le 2 décembre 1970, pour exemplifier notre distanciation critique; selon Foucault :

 

Dans le discours qu’aujourd’hui je dois tenir, et dans ceux qu’il me faudra tenir ici, pendant des années peut-être, j’aurais voulu pouvoir me glisser subrepticement. Plutôt que de prendre la parole, j’aurais voulu être enveloppé par elle, et porté bien au-delà de tout commencement possible. J’aurais aimé m’apercevoir qu’au moment de parler une voix sans nom me précédait depuis longtemps : il m’aurait suffi alors d’enchaîner, de poursuivre la phrase, de me loger, sans qu’on y prenne bien garde, dans ses interstices, comme si elle m’avait fait signe en se tenant, un instant, en suspens. De commencement, il n’y en aurait donc pas; et au lieu d’être celui dont vient le discours, je serais plutôt au hasard de son déroulement, une mince lacune, le point de sa disparition possible. J’aurais aimé qu’il y ait derrière moi (ayant pris depuis bien longtemps la parole, doublant à l’avance tout ce que je vais dire) une voix qui parlerait ainsi : « Il faut continuer, je ne peux pas continuer, il faut continuer, il faut dire des mots tant qu’il y en a, il faut les dire jusqu’à ce qu’ils me trouvent, jusqu’à ce qu’ils me disent – étrange peine, étrange faute, il faut continuer, c’est peut-être déjà fait, ils m’ont peut-être déjà dit, ils m’ont peut-être porté jusqu’au seuil de mon histoire, devant la porte qui s’ouvre sur mon histoire, ça m’étonnerait si elle s’ouvre.»

Il y a chez beaucoup, je pense, un pareil désir de n’avoir pas à commencer, un pareil désir de se retrouver, d’entrée de jeu, de l’autre côté du discours, sans avoir eu à considérer de l’extérieur ce qu’il pouvait avoir de singulier, de redoutable, de maléfique peut-être. À ce vœu si commun, l’institution répond sur le mode ironique, puisqu’elle rend les commencements solennels, puisqu’elle les entoure d’un cercle d’attention et de silence, et qu’elle leur impose, comme pour les signaler de plus loin, des formes ritualisées.

Le désir dit : «Je ne voudrais pas avoir à entrer moi-même dans cet ordre hasardeux du discours; je ne voudrais pas avoir affaire à lui dans ce qu’il a de tranchant et de décisif; je voudrais qu’il soit tout autour de moi comme une transparence calme, profonde, indéfiniment ouverte, où les autres répondraient à mon attente, et d’où les vérités, une à une, se lèveraient; je n’aurais qu’à me laisser porter, en lui et par lui, comme une épave heureuse.» Et l’institution répond : «Tu n’as pas à craindre de commencer; nous sommes tous là pour te montrer que le discours est dans l’ordre des lois; qu’on veille depuis longtemps sur son apparition; qu’une place lui ait été faite, qui l’honore, mais le désarme ; et que, s’il lui arrive d’avoir quelque pouvoir, c’est bien de nous, et de nous seulement, qu’il le tient.»

Mais peut-être cette institution et ce désir ne sont-ils pas autre chose que deux répliques opposées à une même inquiétude : inquiétude à l’égard de ce qu’est le discours dans sa réalité matérielle de chose prononcée ou écrite; inquiétude à l’égard de cette existence transitoire vouée à s’effacer sans doute, mais selon une durée qui ne nous appartient pas; inquiétude à sentir sous cette activité, pourtant quotidienne et grise, des pouvoirs et des dangers qu’on imagine mal; inquiétude à soupçonner des luttes, des victoires, des blessures, des dominations, des servitudes, à travers tant de mots dont l’usage depuis si longtemps a réduit les aspérités.

Mais qu’y a-t-il donc de si périlleux dans le fait que les gens parlent, et que leurs discours indéfiniment prolifèrent ? Où donc est le danger?[45].

 

Ce à quoi Foucault aspire, c’est qu’il faut le croire ! Croire qu’il dit la «vérité» ! Croire qu’il sait habiter les mots et en même temps dire la «vérité» de cette habitation qui fait de lui, parce que c’est lui, celui qui transmet la vérité et ce, en tant que ce nouveau parrèsiaste[46] qu’il a tant rêvé et imaginé, d’être. On observe surtout chez Foucault que l’indifférenciation entre le discours, la vérité, la sincérité, l’interprétation, le senti, l’observation, etc. n’est en fin de compte rien d’autre qu’un «contrat de parole» : un contrat où l’autre a reçu  ma parole comme étant la «vérité de ce qui se dit» (ou le dévoilement d’une «connaissance») et où s’engage, s’atteste, ma sincérité (ou : identité, authenticité, pluralité, etc.) et surtout votre acceptation[47]. Selon ce «contrat», vous n’avez qu’à accepter ma parole, car si personne n’accepte aucun don, aucune confiance, aucune relation, aucune amitié, où se trouve alors la réalité des humains ? Et pourtant, le problème avec cette astuce de «contrat de parole», c’est que la société se révèle être un grand monologue, un nouveau monologue (et une novlangue)[48] où n’existe pour l’individu que le rôle faible et objectivé d’accepter «tout» pour n’offusquer personne.

Comprenons bien, le fondationalisme pluraliste est plus qu’un problème épistémologique. C’est autant un problème quant à la parole de l’autre, quant à la question (et l’horizon) d’une modernité juridique et démocratique, à la civilisation humaniste. En ce qui concerne spécifiquement l’épistémologie juridique, réitérons en fin de compte que le fondationalisme du «pluralisme» est insoutenable et idéologique; c’est un retour régressif vers la nécessité d’avoir raison le premier.

 

 

  1. Contre le constructivisme idéo-pluraliste.

 

Notre cinquième critique s’oppose à son tour avec fermeté au «constructivisme» et à l’imposition du «constructivisme idéo-pluraliste» dans le domaine juridique. En toute franchise, nous ne considérons pas la philosophie «constructiviste» (ou encore le «constructivisme»)[49] comme pertinente pour et dans le domaine du droit[50], et ceci d’autant plus en ce qui concerne la récupération d’une «néo-orthodoxie» et d’une «non-science» qu’effectue le «pluralisme juridique». Pourquoi ? Principalement parce qu’il fait de la théorie le dépositaire du «réel» et de la «vérité» (à la condition improbable que les deux termes possèdent encore un sens à l’intérieur du «pluralisme juridique») et surtout parce qu’il fait de l’adhérence à la théorie le nec plus ultra d’une conception du monde «pluraliste»; un monde où l’Élite «pluraliste» peut (ou espère) gouverner théoriquement en absence des autres. Regardons par la suite de plus près le «constructivisme idéo-pluraliste» pour en avoir la confirmation.

Le premier point qu’il faut analyser c’est l’affirmation postulant que:

 

«(….) la théorie du pluralisme juridique, comme toute autre théorie, n’est rien de plus qu’une hypothèse. Une théorie n’est ni vraie ni fausse; elle nous permet d’imaginer le réel et de modeler ce réel selon les valeurs auxquelles nous adhérons. Son utilité principale réside dans les questions qu’elle nous oblige à nous poser»[51].

 

Une théorie ne sert-elle à rien d’autre qu’à «imaginer le réel» ? Une telle affirmation possède-t-elle vraiment un sens ou du «réel» ? Si quelqu’un «image le réel», s’agit-il du «réel», ou encore d’une imagination qui imagine ? Quelqu’un qui a «imaginé le réel» a-t-il renoncé à la réalité des autres ? En d’autres mots encore si quelqu’un peut aisément imaginer une imagination, peut-il également «modeler ce réel» avec ses valeurs privées de la même façon que toute personne peut imaginer et modeler son salon ? Si un pluraliste veut «modeler» son réel avec ses valeurs – effectuant un acte monologique de construction – quelles valeurs peuvent ensuite rationnellement être acceptées venant des autres ? Les autres peuvent-ils avoir un autre statut que celui de représenter la fameuse épigraphe voulant que «l’enfer, ce sont les autres», vu qu’ils n’accorderaient probablement jamais de valeur à l’imagination monologique des pluralistes (nonobstant que cela sera à coup sûr présenté comme étant de la recherche théorique avancée) ?

En fait, à suivre Macdonald et l’idée «constructiviste idéo-pluraliste», le réel n’est tout simplement jamais le réel et surtout jamais le «réel des autres» (car eux ne comptent pas); la société n’est jamais sociale; l’économie n’est jamais économique; la vérité n’est jamais vraie, sinon remplacée par l’ersatz théorique qu’imaginent ses élites (ne soit-il que «pluraliste») !

Or, si la théorie est un songe qui se rêve, en quoi le rêvé songé est-il théorie ? Ou encore «juridique» ?

Ce qui est problématique dans la citation que vient de nous donner Roderick A. Macdonald, c’est qu’elle séduit; à la limite tout le monde a envie de construire le réel, de construire le «juridique». Un monde imaginé et rêvé est plus facile qu’un monde réel compliqué, un monde rempli de problèmes juridiques. Surtout quand il suggère que si vous ne savez pas comment faire, vous pouvez toujours l’imaginer et modeler le tout selon vos propres valeurs ! Il s’ensuit précisément qu’un partisan du constructivisme idéo-pluraliste peut faire intervenir ses valeurs personnelles et «tout construire»[52]! Et si cela s’effectue en tant que phénomène panjuridique, il n’a même qu’à faire du surplace et à présenter ses trouvailles comme étant «le droit» pluraliste.

Et surtout, le pluraliste peut introduire une image caricaturale, trompeuse, équivoque, illusoire, dupe du «droit». Profitons encore une fois de Roderick A. Macdonald et de ses visions «constructivistes». Il écrit :

 

Le droit n’est pas autant un fait social qu’une construction sociale. Le droit n’existe comme phénomène normatif que dans la mesure où il est reconnu à ce titre par les citoyens. L’idéologie de la modernité soutient essentiellement que (1) le droit est uniquement rattaché à l’État politique (centralisme); (2) qu’il ne peut y avoir qu’un seul ordre juridique correspondant à un seul espace géographique (monisme); et (3) que le droit est toujours le produit d’une activité explicite d’institutions telles que la législature (positivisme). Ni l’une ni l’autre de ces trois perspectives idéologiques n’est soutenable aujourd’hui comme hypothèse pour penser le droit dans les sociétés multiculturelles. Par contre, l’hypothèse du pluralisme révèle l’impact de divers ordres juridiques autonomes et concurrentiels dans nos vies quotidiennes. Elle nous permet de voir dans quelle mesure le sujet de droit est effectivement celui qui crée le droit. Enfin, cette hypothèse montre que le droit est effectivement celui qui crée le droit. Enfin, cette hypothèse montre que le sujet de droit est celui qui rend possible le fonctionnement de toutes les institutions juridiques – étatiques ou autres – en leur accordant leur légitimité[53].

 

S’observe que c’est effectivement un drôle de construction idéologique du «droit» que nous propose Roderick A. Macdonald. En fait, la méthode constructiviste sert exclusivement à justifier deux images (plutôt injustifiables). D’un côté, il s’agit d’introduire une caricature indéfendable concernant «l’idéologie de la modernité», de l’autre côté, il s’agit d’imposer une image privée dite «le droit» qui n’a pas besoin d’être ni réelle, ni légitime, ni utile, ni pertinente, ni adéquate, car elle est inéluctablement «pluraliste» et possède de ce fait (comme par magie) toutes les qualités requises, même celle d’être du «droit». À le suivre, c’est le «progrès» qui doit moralement gagner, suppose-t-on, et l’adhérence à l’idéologie pluraliste n’est qu’un reflet, une conséquence, des «valeurs auxquelles nous adhérons»[54], à savoir les valeurs d’une élite «pluraliste» qui a obtenu un accès privilégié au «droit» en adhérant à une idéologie, une «théorie».

À suivre les affirmations de Macdonald, le pluralisme juridique se confirme proprement parlant en tant qu’une idéologie élitiste, une «weltanschauung», ou encore en tant qu’une «vue particulière» (et a priori) sur le monde juridique. Ce qui n’empêche en rien, soulignons-le, les partisans du pluralisme juridique de s’affirmer «scientifique», car il s’agit ici d’un critère nécessaire pour monter dans l’oligarchie juridique québécoise et pour étouffer les curriculums universitaires.

Or, le problème avec le constructivisme pluraliste juridique, c’est que la connaissance ne peut pas être construite ou être découverte ou observée par un acte de construction. La connaissance n’est simplement pas une question de virtuosité d’une construction linguistique (ou adhésion à des valeurs élitistes). C’est un faux pas épistémologique de croire que la connaissance peut être construite, car cela fait du mode de construction le critère unique pour tout connaître. Et si le «mode de construction» était littéraire, vous n’auriez aucune chance de connaître plus que ce que vous maîtrisez avec élégance et maestria, à savoir la littérature, la théorie, la dogmatique, le pluralisme, etc., et tout cela à la façon circulaire.

Or, ce qu’il ne faut donc jamais faire, c’est de confondre théorie et connaissance, à savoir faire fusionner les deux («connaissance» et «théorie») sous le mode de construction d’une «connaissance qui sait». C’est ce faux pas épistémologique (et théorique) que nous avons rencontré dans les citations de Roderick A. Macdonald. Une théorie ne permet pas «en soi» de connaître.

Ce qui se confirme, car dans «le monde à l’envers» du pluraliste, la représentation du «droit» est donnée, confirmée, observée dans la construction. Il en découle (illogiquement) que le «le» (c.-à-d. «le droit» en tant qu’un substantif dit «droit») est là, en même temps il n’est pas entièrement absurde (pour un partisan du pluralisme juridique) d’affirmer qu’il est cruellement absent là où il aurait dû être (car l’absence de l’être est une affirmation de l’être dans son absence). Le dernier point permet artistiquement à un pluraliste de vilipender (à la façon «positiviste») des concepts métaphysiques ou trop engagés moralement, comme justice et injustice, juste et injuste, discriminatoire ou non discriminatoire, car l’absence de l’être (c.-à-d. comme l’affirme le pluralisme juridique) est en soi-même la contradiction de tout ce qui doit être si le droit «est» là en tant que droit (et donc encadré par l’idéologie du pluralisme juridique). Une telle affirmation permet surtout (à un partisan du pluralisme juridique) d’associer idéologiquement la notion de «justice» au droit, car en phagocytant le positivisme juridique, il en découle que la positivité sociologique par l’absence de «son être» peut se retrouver «sociologiquement, anthropologiquement, culturellement» – et en tout cas en tant que «pluraliste» – de l’autre côté de la barrière, à savoir dans la notion de «justice» et de l’être de celle-ci par un acteur (sociologique, anthropologique, culturel, etc.) privilégié[55]. A ce moment le «droit» sera, pour un pluraliste, toujours pareil à l’existence de l’être – ou de l’ontologie sociologique, anthropologie, culturelle, etc., d’un segment de la population – et surtout le segment qui peut récolter les faveurs de nos élites juridiques et bien évidemment les partisans du «pluralisme juridique».

Or, il s’ensuit que la différenciation entre les faits d’un côté, et l’idéologie du droit (récupérables dans le positivisme juridique) de l’autre, s’efface au profit d’une représentation en soi et supposé être le «le» de la chose, de ce qui «est». Il s’ensuit donc que le constructivisme pan-pluraliste ne rejette pas la «science», mais s’imagine être une science et surtout s’engage dans une compétition sociologique et politique avec d’autres «sciences» qu’elle rebute, car pas assez compréhensives, «interdisciplinaires» et «pluralistes» – sinon guère socio-essentialistes «pluralistes». Pour un partisan du pan pluralisme «la connaissance» est avant tout une question de sociologie – et en somme, la «science» est bien une idéologie comme les autres et cela sans discernement. D’où débouche la prétention d’un pluraliste de parler le «droit» comme il «est» – vraiment ! – en théorie et en pratique.

Que penser de tout cela ? Que cela nous semble de la pseudo-théorie et de la pseudo-épistémologique ! Pourquoi ? Parce que, nous l’avons indiqué, tout est circulaire et de l’ordre de la «pétition de principes» ! Bref, une théorie ne donne jamais une connaissance, un savoir ou un surplus de sens. Jamais ! Une théorie ne construit jamais sa «connaissance», mais doit renoncer à le faire, parce que le prétendre c’est de se condamner à contempler à l’infini le platonisme des images. Quand Roderick A. Macdonald préconise «d’imaginer le réel et de modeler ce réel selon les valeurs auxquelles nous adhérons»[56], il ne fait guère autre chose que de se rêver indûment en platonicien devenu Roi-théoricien de l’Idéo-droit et s’autorise à construire tout seul le réel théoriquement pour le bénéfice propre de ce rêve, en reproduisant en mots le miroitement de sa propre image.

En ce qui nous concerne, il n’y a pas d’autre réalité que celle vécue concrètement et matériellement par les individus en chair et en os. Et voilà surtout ce qui nous concerne et doit nous intéresser, à savoir la question du droit dans une société moderne, compliquée, déchirée et où ne règne pas l’harmonie ou l’ordre, donc à mille lieues de l’idéologie pluraliste ! Cela exige d’aborder les questions de droit dans une société politique avec plus de modestie et de renoncer, une fois pour toutes, à construire, à imaginer et surtout à ne jamais succomber à la fièvre «pluraliste».

 

 

Conclusion: pour en finir en toute franchise

 

Il y a plus à dire ! Il y a plus de pierres à soulever ! Autant par rapport à toutes les nuances conjecturales qui se manifestent à l’intérieur de l’idéologie du «pluralisme juridique», que quant à la non-valeur de cette idéologie à l’intérieur du domaine juridique. Nous n’avons pas tout dit, nous n’avons pas tout nettoyé et nous n’avons en aucune façon bouclé la boucle. En fin de compte, nous n’avons qu’offert un prélude et pour paraphraser Karl Marx, si la taupe a débuté son travail critique, le travail de la critique doit aller plus loin encore que notre analyse circonscrite aux questions d’épistémologies juridiques.

Nous pouvons résumer notre critique en quatre points :

  • Le «pluralisme juridique» s’élabore et s’établit en tant qu’un professoren-recht (c.-à-d. un droit des professeurs) pour des Professoren (professeurs) en vue de valoriser une image théorique et en vue de devenir les «propriétaires» de cette image.
  • Le pluralisme juridique est impotent autant pratiquement que théoriquement et ne peut jamais se confirmer autrement qu’en «positivisme juridique renversé» dans une réalité supposée accueillir «le droit» en tant que «le droit» (sic!) en tant que son image «pluraliste».
  • Le pluralisme juridique est superficiel et futile pour la compréhension du droit; c’est une idéologie qui n’est pas là pour le «bénéfice du droit».
  • Le pluralisme juridique ne passerait aucun test «épistémologique» en ce qui concerne le domaine juridique et il représente le contraire d’une théorie solide et saine en ce qui concerne la question du droit dans une société démocratique et moderne.

Or, au-delà de ces critiques plutôt épistémologiques, il est temps de formuler une critique et un jugement général sur le «pluralisme juridique»: à savoir qu’il est inutile et ne sert à rien de positif en ce qui concerne l’horizon d’un droit moderne et démocratique.

Bjarne Melkevik*

 

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* Bjarne Melkevik, Professore titolare di Filosofia del diritto, Metodologia giuridica e Diritto comparato, Université Laval, Québec. Email: bjarne.melkevik@fd.ulaval.ca

 

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  • [1] Voir J. Griffiths, 1986, 1-50. Le journal «Journal of Legal Pluralism» peut être considéré comme le porte-parole de l’idéologie «pluraliste juridique». En général, voir les références bibliographiques chez J.G. Belley et N. Rouland, 1988, 301 et 304.
  • [2] D’où la naissance, grosso modo, à partir de 2000, de la dénomination « École de Montréal » pour célébrer distinctivement le pluralisme juridique québécoise.
  • [3] S. Romano, 1975 (2002) (collection Philosophie du droit, réimpression, Paris, Dalloz, collection BibliothèqueDalloz, 2002).
  • [4] Il reste même un problème d’identification général concernant le référent «québécois». Notons, en exemple, que le Belge Jacques Vanderlinden a pendant plusieurs années été un «Canadien d’adoption» et qu’il a eu une influence significative sur l’idéologie du pluralisme juridique au Québec (et au Nouveau-Brunswick); voir J. Vanderlinden, 1996, et 2013 (qui reprend plusieurs de ses textes «québécois»).
  • [5]  Cf. également M. Saint-Hilaire, 2015a, 219-241 (Du pluralisme juridique), et 2015b, 115-132.
  • [6] É. Blanc, 1899, 394; «hyperbole», «hyperbolique» et «hyperboliquement»: le terme hyperbole vient du grec de l’hyperbole, de hyper, qui signifie «au-delà», et ballein, qui signifie «jeter». En littérature et en rhétorique, l’hyperbole est une figure de style qui consiste à créer une exagération et permet d’exprimer un sentiment extrême, de manière à frapper les esprits.
  • [7] A. Lajoie, H. Quillinan et al., 1998, 684. Les guillemets dans cette citation se rapportent à l’article de J.G. Belley, 1986, 11- 32.
  • [8] Plusieurs auteurs de pluralisme québécois répètent le même avec d’autres mots. Voir J.G. Belley (dir.), 1996; G. Rocher, 1996; P. Noreau, 1993; J.G. Belley, 1998; A. Lajoie, R.A. Macdonald (dir.), 1998; R.A. Macdonald, 2002.
  • [9] Rappelons les mots de (attribués à) Anaxagore de Clazomènes (500-428 av. J.-C): «D’abord était le chaos, puis vient la raison qui mit tout en ordre».
  • [10] Le «communautarisme» peut au Québec être défini comme l’idéologie de base, de «préférence» ou «dominante» à l’élite intellectuelle, politique et culturelle. Le communautarisme au Québec se résume dans l’idéologie d’un «modèle de gérance» ou de «gérer les relations avec les communautés» (culturels, ethnique, culturel, etc.). Le rapport Gérard Bouchard et Charles Taylor, Fonder l’avenir. Le temps de la concilia­tion, 2008, dans son insistance sur «la gérance» symbolise bien ce communautarisme à la québécoise. Il existe deux versions du rapport: l’une courte, résu­mant les principaux nœuds de réflexion et de recommandations; l’autre longue, détaillant l’ensemble des données et de la démarche méthodologique. Voir aussi, en 2014, le projet «québécois» non abouti de charte des valeurs québé­coises: Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État ainsi que d’égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d’accommodement, projet de loi no 60, 1re sess., 40e légis. (Qc).
  • [11] J.G. Belley, 2011, 257: «Dans la science du droit, comme dans les autres disciplines de la modernité avancée, l’orthodoxie pluraliste devient le ciment idéologique requis pour constituer en classe sociale consciente d’elle-même une collectivité d’organisations déjà engagées objectivement dans la gestion solidaire d’un ordre technique en mouvement incessant».
  • [12] R.A. Macdonald, 2002-2003, 152.
  • [13] R.A. Macdonald, 2007, 275.
  • [14] R. Janda, 1998b, 182. Notre traduction de: «Critical Legal pluralism (a) problematizes any boundary between law and non-law or state and non-state norms; (b) assumes that there will be a hierarchy of dominant and less powerful social values but leaves the individual as arbiter; and (c) assumes that there will be a broad range of expected and unexpected consequences of legal decisions without attempting to trace them or to explain how they link to law’s obligatory force. The “unit of analysis” is individual conscience and capacity to act.» Notons que Richard Janda accepte, conventionnellement, ici qu’il y un lien entre «droit» et «obligation»; voir notre critique de cette opinion dans B. Melkevik, 2012 [c.-à-d. 2013], 99-116 (repris dans 2014a, 87-113).
  • [15] J.G. Belley, 1986, 27 (souligné dans le texte). Voir E. Bernheim, 2011-2012, 1-41. De Jean-Guy Belley voir également J.G. Belley, 1988, 300-303 et 1997, 1-15.
  • [16] P. Noreau, 1997, 743-744.
  • [17] Cf. P. Noreau, 2011, 687-710 (numéro spécial, Épistémologie juridique et méthodologies juridiques, sous la direction de Georges Azzaria).
  • [18] Cf. B. Melkevik, 2014a, 17-24.
  • [19] R.A. Macdonald, 1998a, 23. Notre traduction de: «A critical legal pluralism twists traditional analyses of law and society inside out. Rather than beginning with the premise that society (and communities) are entities that law can treat, it investigates how community members treat law».
  • [20] L. Carroll (c.-à-d.Charles Lutwidge Dodgson), 1999, «… il y a la pièce que tu peux voir dans le Miroir… Elle est exactement pareille à notre salon, mais les choses sont en sens inverse. Je veux la voir tout entière quand je grimpe sur une chaise… tout entière, sauf la partie qui est juste derrière la cheminée. Oh ! je meurs d’envie de la voir ! […] les livres ressemblent pas mal à nos livres, mais les mots sont à l’envers; je le sais bien parce que j’ai tenu une fois un de nos livres devant le miroir, et, quand on fait ça, ils tiennent aussi un livre dans l’autre pièce. […] ce serait merveilleux si on pouvait entrer dans la Maison du Miroir ! Faisons semblant de pouvoir y entrer, d’une façon ou d’une autre. Faisons semblant que le verre soit devenu aussi mou que de la gaze pour que nous puissions passer à travers. […] Ça va être assez facile de passer à travers…». Cf. B. Melkevik, 2014a, 63-64.
  • [21] R.A. Macdonald, 1998b, 74. Notre traduction de: «Legal pluralism is the alternative image of law and legal normativity».
  • [22] Ivi, 70. Notre traduction de: «A legal pluralistic analysis provides a metaphor within traditional legal vocabulary (…)»
  • [23] P. Noreau, L. Rolland, 2008, 3-25.
  • [24] J. B. Molière (c.-à-d. Jean-Baptiste Poquelin), 1992 (1670), 47 (Acte 2e, scène IV). Cf. J.M. Joubert, 2014, 199- 214.
  • [25] En rappelant que celui qui avant tout a insisté sur l’existence des «ordres» (sociologiques, existentielles et symboliques) est Pascal (c.-à-d. Blaise Pascal: 1623-1662 ap. J.-C.) dans son livre phare «Pensées» (posthume 1669). Voir P. Bourdieu, 1997, qui dans ce livre s’avoue «pascalien» et dont l’œuvre sociologique peut aisément se lire comme une «sociologie pascalienne moderne». Notons qu’aucun des articles «pascaliens» de Bourdieu examinant le «champ juridique» n’est «pluraliste» et de loin. Voir P. Bourdieu, 1986a, 3-19; 1986b, 40-44; 1990, 86-96; 1991, 95-99. Sur la question de sociologie pascalienne, voir aussi Lucien Goldman et surtout son livre classique: 1955.
  • [26] C’est une perversion théorique qui est surtout présente dans le positivisme étatique à la façon française et allemande. Voir, par exemple, R. Carré de Malberg, 1922, 490: «Il apparaît que le droit proprement dit ne peut se concevoir que dans l’État une fois formé ; et par suite, il est vain de rechercher le fondement ou la genèse juridiques de l’État. L’État, étant la source du droit, ne peut pas avoir lui-même sa source dans le droit». Le pluralisme juridique par la stratégie de «renverser» le positivisme dogmatique dans la réalité sociale ne peut pas se protéger contre de telles propositions et y devient l’accessoire (et complice) du même (à «l’envers»)!
  • [27] Néologisme. Contraction de «sophisme» (ou «sophistique») – en référence à la philosophie sophiste grec et antique – et le mot «ontologie».
  • [28] R. Janda, 1998a, 73. Notre traduction de : «The common features of all “law” are to be discerned and separated from the particularities of belief and commitment. Can it come as any surprise that frequently the answer to the question “what is law?” remains purely formal and sanitizes law of belief and commitment, thereby identifying characteristics that do not vary with belief and commitment ? […] Particularly if one views normativity as grounded in beliefs and commitments – that is, normativity is fundamentally internal to each of us and not premised on external standards to which our behaviour conform – there is no obvious reason for adopting a restricted definition of “Law”».
  • [29] R.A. Macdonald, 1998b, 77. Notre traduction de: «Legal pluralists posit a multiplicity of legal orders in every society. Different social milieu, they argue, give citizens the occasion to create and negotiate their own normative standards to shape and symbolize social behavior and their own institutions to reinforce or apply these standards. Even the simplest legal regimes are constituted by a plurality of decisions-making institutions, distribute criteria and cultural traditions. State-sponsored normative standard do not function in a naively instrumental way, as exogenous variables acting upon a passive society and changing behavior directly by offering rewards for, or placing sanctions upon, certain conduct. Different legal regimes are in constant interaction, mutually influencing the emergence of each other’s rules, processes and institutions. The structures and trajectories of interaction as between these multiple legal orders are varied and unpredictable. Conversely, to understand the role that State law actually plays in a given social field, it is necessary to understand the character and operation of multiple regimes of unofficial law in the same field.»
  • [30] O.W. Holmes Jr., 1897, 457-478, 459 pour le «bad man» théorie. Traduction française (par Françoise Michaut), «La passe étroite du droit», O.W. Holmes (dir.), 2015, 99-132, 103. Cf. aussi la deuxième traduction en français de ce texte de O. W. Holmes Jr, 2014 (avec un commentaire du traducteur Laurent Du Sutter).
  • [31] Voir F. Michaut, 2000 et 2003, 661-667.
  • [32] Sur la théorie du «méchant homme» (et femme), voir S.J. Burton (dir), 2000; en particulier D. Luban, 33-49; S.R. Perry, 158-196; S.J. Shapiro, 197-210; C.P. Wells, 211-230. Notons que ce livre reprend O.W. Holmes, 1897, 333-350 (avec la pagination de l’original de 1897).
  • [33] O.W. Holmes Jr, 2015, 103.
  • [34] Sur la philosophie du droit de Oliver Wendell Holmes Jr voir F.R. Kellogg, 1984 et 2007.
  • [35] Cf. J.C. Michéa, 2013. Voir également Idem, 2007 (2010); 2008; 2011. Sur la philosophie de J.-C. Michéa, consulte G. Labelle, É. Martin et S. Vibert (dir.), 2014.
  • [36] Cf. G. Orwell, 2006. Cf. B. Melkevik, 2007, 214-250 (repris dans idem, 2014b, 43-68).
  • [37] J. Desautels, 1997.
  • [38] Sur le « fondationalisme », voir B. Melkevik, 2010, 499-502 et 2014b, 33-41. Sur la question épistémologique sous-jacente «l’anti-fondationalisme» cf. B. Melkevik, 2014a.
  • [39] Cf. B. Melkevik, 2014b, 33.
  • [40] Cf. Cercas, 2010, 19.
  • [41] L. Wittgenstein, 1961; la deuxième traduction (le meilleur) de ce livre s’intitule: Recherches philosophiques.
  • [42] Le mot «indifférenciation» se réfère, linguistiquement et rationnellement, à la prétention de «sentir, entendre, voir, interpréter, comprendre» «tout» de la même manière. L’indifférenciation se situe en conséquence en amont de la généralisation, procédé qui consiste à affirmer qu’un ensemble d’individus a «toutes» les propriétés d’un seul individu. Exemples : sur le niveau de généralisation «Tous les Français mangent des grenouilles», sur le niveau de l’indifférenciation «Les Français sont des mangeurs de grenouilles». Cf. P. Robert (dir.), 1974, 695-697.
  • [43] S. Lebel-Grenier, 2002, VIII (Sommaire; résumant en entier les «thèses» de la thèse).
  • [44] Cf. note 32; S. Lebel-Grenier, 2002, VIII.
  • [45] M. Foucault, 1971 (1983, 2014), 7-10.
  • [46] Mot d’origine grecque, issu du mot parrésia, parresia, parrhesia, etc., se rapportant à «celui qui parle/dit la vérité». Repris par M. Foucault, 2008, et servant d’une façon inappropriée de base justificatrice à l’idéologie de «biopolitique» et de «biopouvoir». Le mot de parrêsia et de parrèsiaste se trouve dans les textes de Sénèque, Plutarque, Gallien. Historiquement le mot a été utilisé surtout dans des études classiques de même que dans des études paléochrétiennes et vétérotestamentaires, de même que dans l’analyse textuelle (herméneutique testamentaire) et de doctrine théologie chrétienne.
  • [47] Voir P. Veyne, 1971; repris en intégralité (sans sous-titre) et accompagné d’un article hagiographique «Foucault révolutionne l’histoire», Paris, coll. Le Point Histoire no H 226, 2015. Le problème avec Paul Veyne c’est qu’il n’arrive jamais de concilier son relativisme non rationaliste avec les exigences du métier d‘historien. Veyne en célébrant l’imagination et l’imaginaire comme le contraire de la factualité de la société et de l’histoire fait simplement un faux pas épistémologique. Les «vérités» ou encore les histoires que nous fabriquons avec notre imagination n’a simplement guère autre valeur que littéraire. Voilà ce que n’a compris M. Devinat, 2011, 659-670 (numéro spécial, Épistémologie juridique et méthodologies juridiques, sous la direction de Georges Azzaria).
  • [48] B. Melkevik, 2007.
  • [49] Sur l’idéologie «constructiviste» (en sociologie, en « études culturelles », en philosophie, etc.), voir P. Boghossian, 2009. Cf. P. Boghossian, 1996, 13-14.
  • [50] Cf. B. Melkevik, 2014a.
  • [51] R.A. Macdonald, 2002-2003, 137.
  • [52] Et là, ne faut-il pas faire intervenir Maxime de François de La Rochefoucauld (1613-1680) quand il, avec pertinence, observe que «Les vertus se perdent dans l’intérêt, comme les fleuves dans la mer» : cf. maxime 171, dans Réflexions ou sentences et maximes morales (1666), d’innombrables éditions (M. La Rochefoucauld, 2008, 30, Maxime 171).
  • [53] R.A. Macdonald, 2002-2003, 135.
  • [54] Ivi, 137.
  • [55] A. Lajoie et al., 1996. Cf. également A. Lajoie, H. Quillinian et al., 1998.
  • [56] R.A. Macdonald, 2002-2003, 137.

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